Bernard Piette sur le secteur des transports en route vers le zéro émissions
Temps de lecture 9 minutesLa transition vers le zéro émissions dans le secteur des transports représente une mission délicate. Bernard Piette, managing director de Logistics in Wallonia, le sait également. « En tant que cluster d'innovation, nous soutenons les entreprises actives dans le secteur du transport et de la logistique dans le cadre de leurs projets de transformation. Notre travail consiste à mettre en place des projets innovants dans lesquels les entreprises et les centres de recherche universitaires collaborent pour rendre la logistique, le transport et la mobilité plus écologiques, plus durables et plus numériques. » Nous nous sommes entretenus avec lui sur l'objectif de zéro émissions du secteur des transports.
Les transports représentent 25 % des émissions de CO2
Le secteur des transports est le seul secteur où les émissions de CO2 ont augmenté plutôt que diminué ces dernières années. Rien de très étonnant en fait compte tenu de l'essor de l'e-commerce pendant la pandémie de coronavirus. Les défis pour le secteur des transports sont d'autant plus grands qu'il est au service d'autres activités économiques. Après tout, notre économie ne pourrait pas tourner sans les transports. « Pour une solution durable à long terme, il est préférable que nous, consommateurs, nous regardions d'abord dans le miroir. Les transports sont en effet totalement dépendants de notre comportement de production et de consommation », explique Bernard Piette. « Pour obtenir les meilleurs résultats, le nombre de kilomètres de transport doit diminuer. Pour cela, les consommateurs doivent se rendre compte que leurs achats en ligne ont un impact énorme sur le nombre de camions sur les routes. Sans ça, le problème restera le même et ramener les émissions de CO2 à zéro restera mission impossible. »
Miser sur les carburants alternatifs
« Miser sur les carburants alternatifs est ce qui pourrait faire le plus de différence à court terme. La meilleure solution reste encore à inventer, mais si nous regardons ce qui existe déjà, il y a alors selon moi quatre solutions : l'électricité, le biodiesel, le gaz et l'hydrogène. Il n'y aura pas une technologie qui dominera, mais un mélange de différentes technologies qui sera utilisé pour différentes applications. L'électricité n'est par exemple pas une solution pour les longues distances et l'hydrogène est moins adapté aux transports urbains pour des raisons de bruit. La maturité technologique est là. C'est maintenant aux pouvoirs publics de définir un cocktail, soit sous la forme d'incitants financiers, soit sous la forme de réductions d'impôts, pour permettre aux entreprises de passer à des alternatives vertes pour leurs camions diesel, sans impact trop lourd sur leur chiffre d'affaires. Il ne faut pas oublier que la capacité d'investissement des sociétés de transport est relativement limitée. Il ne faut pas non plus s'attendre à ce qu'elles investissent à la fois dans un camion électrique, un camion à l'hydrogène et un camion au gaz. »
« La meilleure forme de transport reste encore à inventer »
L'électricité et l'hydrogène dans les rôles principaux
La situation actuelle en Europe n'est pas très réjouissante. « Nous ne sommes encore nulle part en matière de zéro émissions. Je suis aussi très inquiet par rapport à l'obsession de la conduite électrique. L'électricité ne sera en effet jamais la panacée. Le principal point d'interrogation reste : d'où va venir toute cette électricité ? La Belgique n'a pas de matières premières propres et a établi un plan de démantèlement de ses centrales nucléaires. Et si nous utilisons l'électricité produite par des centrales au gaz, nous n'y gagnerons rien en termes d'émissions de CO2. Tant que notre production d'électricité ne sera pas au point et qu'elle ne sera pas aussi verte que possible, multiplier le nombre de bornes de recharge sera également inutile à mon sens.
Si nous considérons d'autre part la technologie de l'hydrogène, nous nous trouvons aujourd'hui face à un problème de l'oeuf et de la poule. Les fournisseurs d'énergie ne veulent pas investir dans un réseau de stockage de l'hydrogène parce qu'il n'y a pas encore de véhicules, et les transporteurs attendent des infrastructures de recharge pour opter pour des véhicules roulant à l'hydrogène. À un moment, il faudra une décision proactive du gouvernement sur le cap suivi par notre pays. Je constate heureusement que l'Europe est fermement décidée à poursuivre le développement de l'hydrogène. Beaucoup de pays se rendent compte de l'urgence et que nous sommes actuellement trop dépendants de quelques acteurs à la fiabilité douteuse dans le domaine de l'énergie. Regardez la crise énergétique de 2022 suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. L'Union européenne met actuellement en place des programmes de recherche pour accélérer le développement de la technologie de l'hydrogène. Les chercheurs vont travailler principalement autour de deux thèmes : rendre la production d'hydrogène 100 % verte et augmenter l'efficacité énergétique car pour le moment, l'hydrogène ne délivre pas encore autant de chevaux de puissance que les autres technologies. À ce rythme, la technologie sera mature d'ici 2030. »
Le lobbying de l'industrie pétrolière et des constructeurs automobiles
La technologie des poids lourds a considérablement évolué ces dernières années. Néanmoins, le coût élevé d'un camion non diesel reste un obstacle majeur pour de nombreuses sociétés de transport. « Le camion promis par Tesla se fait attendre et Nikola dit rencontrer des problèmes pour la production de son camion électrique. Ce sont donc les constructeurs plus traditionnels qui vont devoir franchir le pas vers des camions plus efficaces sur le plan énergétique. Les prix de ces camions finiront alors par diminuer, comme c'est le cas pour tout processus industriel. Dès que les volumes augmentent et que la production se standardise, le prix de revient à l'unité diminue automatiquement. Reste juste à savoir à quelle vitesse cela va se faire et si le prix sera un jour au même niveau que celui d'un camion diesel. J'en doute. Les constructeurs automobiles et l'industrie pétrolière continuent à faire du lobbying contre l'interdiction des moteurs thermiques. D'autre part, les fabricants vont devoir transformer leurs installations de production et voudront donc très probablement maintenir des marges assez importantes. Le diesel ne disparaîtra jamais totalement. En termes d'émissions, les moteurs diesel actuels ne sont plus en rien comparables aux moteurs d'il y a vingt ans. C'est du reste la même chose pour le gaz et la biomasse. Même si atteindre le zéro émissions avec ces carburants est impossible, je pense que nous allons faire de grands progrès dans les années à venir pour réduire encore davantage les émissions de CO2. »
« Je suis très inquiet par rapport à l'obsession de la conduite électrique »
Besoin d'un cadre légal clair
« Les sociétés de transport sont conscientes de leurs responsabilités et sont prêtes à les prendre. Mais pour le moment, il manque toujours un cadre légal clair et stable pour le long terme. Il faut un régime fiscal qui soutient les investissements dans des sources d'énergie propres. Le fait qu'en Belgique, l'énergie soit une matière à la fois régionale et fédérale ne facilite bien évidemment pas les choses. Il est donc tout à fait normal que beaucoup de transporteurs hésitent encore à franchir le pas vers des carburants alternatifs. L'offre est du reste aussi relativement limitée. Si je peux leur donner un conseil, c'est d'anticiper. Pensez à l'avenir, voyez ce qui est possible pour votre entreprise et ce qui est actuellement sur le marché. N'attendez pas de ne plus avoir le choix car ce moment viendra sans aucun doute. »